Brasov est la huitième ville de Roumanie mais la première à être citée lorsqu’il est question d’ours. Parmi ses 300 000 habitants, quelques milliers vivent au milieu des montages carpatiennes, sur le territoire de l’animal. Et parfois, d’inquiétantes rencontres se produisent…
> Racadau, le quartier où hommes et ours cohabitent
Une véritable langue de béton enclavée au beau milieu de la forêt. C’est le quartier de Racadau. Situé au sud de Brasov, il symbolise à lui seul toute la problématique de cette cohabitation entre l’homme et l’ours.
Cet alignement de barres est né au milieu des années 1980, pendant l’ère Ceausescu, lorsqu’il fallait reloger les milliers de personnes expulsées de leurs maisons et quartiers rasés. 15.000 habitants vivent aujourd’hui dans cette zone gagnée sur la nature. Mais à l’époque, nul ne s’était préoccupé de l’ancien occupant de ces forêts expropriées. Dans un premier temps, l’ours a fuit. Puis il s’est habitué à ses nouveaux voisins.
En 1990, une quinzaine d’ours descendait régulièrement dans le quartier pour faire les poubelles de la rue Jepilor. Seize dépôts d’ordures collectifs sont en effet répartis tous les 50 mètres, le long de la voie en lisière de forêt. Ils constituaient un garde manger inépuisable pour les ours, opportunistes comme ils sont. Les habitants s’étaient, eux aussi, habitués à ces nouveaux visiteurs du soir. En 2005, pas moins de vingt-cinq spécimens vivaient aux alentours du quartier. Chaque soir, près des containers, c’était un spectacle garanti pour tous les résidents mais également les touristes venus du monde entier pour observer « les ours de Brasov ».
> Organisation d’excursions pour « voir les ours »
Dans le hall d’une pension en centre ville, « Watching bears » (« Voir les ours ») est inscrit en gras sur une feuille. Gabriel, le directeur de l’établissement, organise des excursions depuis que l’ours est sorti de la forêt. « Pour aller voir l’animal dans les rues, compter 15 euros de l’heure et beaucoup de patience. Car maintenant, l’ours ne se présente plus tous les soirs. »
Quand on se promène à Racadau, on rencontre beaucoup de gens remontés contre les touristes. Certains évoquent les cars qui descendent les rues à la recherche de la bête sauvage, d’autres le va-et-vient des taxis qui arrêtent leurs clients à quelques mètres des ours, prennent une photo puis repartent. Les habitants sont conscients du danger que représente l’ours mais sont trop habitués à sa présence pour s’en méfier.
> Le prédateur oublié
L’ours est un animal sauvage, certains l’ont oublié. A force de jouer les éboueurs de la cité, il s’est aperçu que l’homme ne lui faisait pas de mal et a perdu certains de ses instincts. Pour le plus grand plaisir des spectateurs, l’animal qui fouille les ordures ne fuit plus lorsqu’on s’en approche.
Mais, en 2005, deux personnes sont mortes dans un autre quartier et, en 2008, le corps d’un jeune de Brasov a été retrouvé près des fortifications du centre historique. Les habitants ont ainsi découvert une autre facette de leur voisin : l’ours peut tuer.
> Dorin, qui vient de s’installer à Racadau, ne s’habituera jamais à ce voisin peu ordinaire :
Les médias roumains se sont vite emparés des trois agressions fatales, transformant Brasov en ville assiégée par les ours, mais sans en chercher les causes exactes. A la mairie, on se dit impuissants face au problème : « Les gens payent leurs impôts pour qu’on les protège mais nous ne savons pas comment faire », déplore Sorin Toarcea, porte-parole de la mairie de Brasov. La ville a pourtant essayé une panoplie de mesures. « Après la mort de deux habitants, nous avons demandé un permis de chasse au ministère de l’environnement mais les quotas étaient déjà atteints, regrette M. Torcea. C’est l’Europe qui gère le nombre d’ours à abattre chaque année en Roumanie. »
Pour résoudre le problème, les autorités ont tenté de déplacer deux ours en 2006. « Mais pas assez loin », constate le porte-parole. Au bout de quelques jours, les animaux sont revenus près de la ville. Des « spécialistes » ont par ailleurs imaginé une clôture électrique pour protéger les quartiers concernés. Mais comme 40 % de la ville est entourée de forêt, le projet a été abandonné.
En 2008, une nouvelle incursion de l’ours en plein coeur du centre historique de Brasov a marqué les esprits. Flavius Barbulescu, responsable du service municipal de gestion animalière de Brasov, était en « première ligne » ce jour-là, et il a pris ce film :
> 600 euros d’amende la photo
Douze ours ont été capturés l’année dernière par les équipes de M. Barbulescu. Les animaux ont cette fois été transportés à plus de 100 km de Brasov, dans d’autres forêts, des parcs naturels, voire au zoo en attendant leur réhabilitation. En parallèle, la municipalité et la préfecture ont mis en place des mesures drastiques concernant les quartiers « dérangés ». « Les poubelles sont vidées plusieurs fois par jour », explique Sorin Torcea, de la mairie de Brasov. Cette initiative a été prise pour qu’à long terme, les ours comprennent qu’il n’y a rien à manger en ville. La préfecture a décidé de réagir plus sévèrement en faisant voter une loi qui punit désormais le simple fait de prendre en photo ou de nourrir les ours d’une amende de 600 euros !
Mais le week-end, il semble que rien ne soit appliqué. Un samedi entier passé à Racadau nous a suffi pour constater qu’une seule voiture de police passe dans l’après-midi et que les containers sont bien remplis lorsque la nuit arrive. Rien de bien intimidant, ni pour l’ours ni pour le touriste de passage…
Une femelle adulte et ses trois petits descendent d’ailleurst plusieurs nuits par semaine dans le quartier (voir vidéo d’introduction).
> Son avenir incertain
George Predoiu a travaillé pendant deux ans sur les relations entre l’ours et l’homme dans la région de Brasov. Même si le plantigrade n’est pas en voie de disparition et si sa population est stable en Roumanie depuis plusieurs années, le chercheur reste pessimiste sur l’avenir lointain de l’espèce dans son pays.
Dans son étude, George Predoiu attire l’attention sur la multiplication des conflits entre l’homme et l’animal. « En moyenne cinq personnes sont blessées chaque année et les ours endommagent parfois les barrières et dépendances des maisons proches de la forêt », informe-t-il. De quoi susciter, petit à petit, une réticence de la population à cohabiter avec l’animal.
« Avec la démocratie est apparu l’envie, pour beaucoup de Roumains, de posséder une maison à la montagne, constate le chercheur. Et certaines petites villes des Carpates rêvent de se développer sur le modèle des grandes cités touristiques du pays. A ce rythme-là, on arrivera certainement à garder en Roumanie les 300 000 skieurs qui partent chaque année skier en Autriche. Mais quelle place laisserons-nous aux ours ?»
« Pour éviter d’avoir à se débarrasser d’eux, comme ont su si bien le faire la France ou l’Allemagne », Georges Predoiu mise sur une surveillance accrue. Et insiste : « Il faut prévenir les contacts entre l’homme et l’ours. Malheureusement, il n’y a aucune coordination entre les différentes institutions et très peu de moyens pour organiser les opérations. »
Silviu est né à Brasov. Il n’a jamais vu d’ours, a entendu beaucoup d’histoires sur l’animal mais a un point de vue tranché sur la situation. Dans cette histoire, selon lui, l’intrus n’est certainement pas celui auquel on pense :